Table des mati�resLe contexte politique
 
La foresterie et les autochtones : 
le cas du Québec
Table des mati�res
 
Le contexte socioéconomique et socioculturel 

Les activités d’exploitation forestière représentent un secteur d’une importance considérable pour l’économie de la province. Elles gérèrent de nombreux emplois directs et indirects. Cependant, outre l’extraction de la matière ligneuse, les autres usages de la forêt sont le plus souvent relégués au second plan et négligés, notamment en ce qui concerne les aspects culturels et spirituels de la forêt pour les autochtones. De plus, sur le nombre d’emplois liés à l’exploitation forestière, les postes occupés par des autochtones sont minoritaires. Force est également de constater que de nombreuses répercussions négatives découlant du développement de l’industrie forestière ont été et continuent d’être assumées par les communautés autochtones. Ainsi, l’exploitation forestière participe à l’érosion de leur mode de vie traditionnel. Afin d’illustrer ceci, nous explorerons les impacts du déploiement de l’exploitation forestière sur le territoire de la communauté crie d’Eeyou Astchee. 

Les retombées économiques de la foresterie 

L'industrie forestière est l’un des secteurs les plus importants de l'économie québécoise. En 1999,  la valeur de livraison des produits forestiers était de 18,7 milliards de dollars, représentant 3,1 % de l'activité économique totale de la province (Canada, 2000; Québec, 2000a). En 1999, l’industrie forestière québécoise a généré 4,67 milliards de dollars, dont la majorité dans le secteur des pâtes et papiers.  

L’exploitation forestière s’est traditionnellement déroulée dans la partie sud du Québec. Cependant, en raison de la surexploitation au sud, couplée à un accroissement de la demande des produits du bois (Québec, 2000b), l’industrie s’est vue contrainte de déplacer ses activités plus au nord. Pour ce faire, l’industrie forestière a investi des sommes considérables dans cette relocalisation. À titre d’exemple, l’industrie forestière a investi, en 1983, 13.1% de son budget total dans le territoire cri, alors que cinq ans plus tard, ce chiffre est passé à 57.7% (GCC, 1998).  Cet investissement a mis fin aux petites entreprises forestières qui ont opéré de manière plus ou moins durable pendant des décennies. Ces petites entreprises ont dû fermer ou fusionner avec d’autres grandes compagnies (GCC, 1998). 

Certes, l’industrie de la matière ligneuse génère des retombées économiques importantes. Par contre, il existe tout un autre volet économique que la forêt peut nous apporter et qui est souvent négligé, tel que le récréotourisme, la récolte de fruits et de champignons sauvages, la trappe, les plantes médicinales et autres produits non-ligneux. De plus, la forêt représente tout un volet culturel et spirituel pour les humains, particulièrement important chez les autochtones. De ce fait, les autochtones pourraient bénéficier davantage de la foresterie si ce volet était favorisé par le gouvernement.  

Les retombées sociales de la foresterie 

Au niveau social, la forêt est une importante source d’emplois. Les chiffres concernant l’emploi en forêt varient à cause de l’ambiguïté qu’il existe entre emplois directs et indirects. Si on inclut tous les emplois connexes à la forêt au Québec, les chiffres peuvent représenter 20% de la population active (Guertin et Bouthillier, 1997). Par contre, si on évalue seulement les emplois liés directement à l’industrie forestière, on obtient 110 300 pour 1999 (Canada, 2000), soit 3,3 % de la population active (ISQ, 2001). D’autres sources suggèrent 80 128 emplois (Lemieux, 2000), soit 2,5% de la population active.  

Cependant le nombre d’emplois occupés par des autochtones est nettement moindre. Au Canada, le secteur forestier emploie 2.2% de la population autochtone active (GFW, 2000). En 1998, parmi les centaines d’ingénieurs forestiers au Canada, seulement 20 provenaient des communautés autochtones (GFW, 2000).  Au Québec, il existe peu chiffres sur le nombre d’emplois occupés par les autochtones dans le domaine forestier, à l’exception des Cris.   

Selon Quaile et Smith (1997), seulement 40 à 50 Cris sont employés sur les 14 000 personnes travaillant dans le secteur de la production forestière sur leurs territoires traditionnels. Autre exemple; à l’usine Barrette Chapais, située près de la communauté Oujé-Bougoumou, aucun Cri n’a été employé parmi ses 400 à 450 employés pendant l’été de 1995 (GCC, 1998).  Ainsi, les Cris ne profitent que dans une très petite mesure des bénéfices générés par l’exploitation de leurs terres, en dépit du fait que leur territoire représente 16% de toute la superficie forestière du Québec (GCC, 1998) et que la valeur des exportations de l’industrie représentait 11.5 milliards de dollars en 1999 (Canada, 2000). Les plus grands bénéficiaires des coupes sont les actionnaires et les employés des compagnies forestières. Peu d’actions ont été menées pour améliorer cette situation malgré la directive de la Stratégie nationale sur les forêts qui vise à « augmenter les débouchés liés à l’économie forestière pour les peuples autochtones » (Quaile & Smith, 1997). 

Les répercussions sur les sociétés autochtones 

Le développement de l’industrie forestière commerciale ne s’est cependant pas fait sans heurts. De façon générale, le mode de vie autochtone s’est vu perturbé et transformé depuis la colonisation européenne et du fait du développement de l’exploitation des ressources naturelles, facteur ayant établi les bases de l’économie canadienne. Sherry (1999) relate que des changements radicaux dans le mode de vie des autochtones ont été déclenchés par la délocalisation de leurs territoires traditionnels, la perte d’accès et de contrôle des ressources, des difficultés économiques ainsi que l’interférence avec les pratiques spirituelles traditionnelles et les processus d’éducation.  

Alors que la reconnaissance du savoir traditionnel autochtone progresse - à petits pas - au Canada, en bonne partie grâce aux revendications de droits ancestraux sur les territoires traditionnels, les connaissances elles-mêmes s’érodent à un rythme effréné. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à miner la conservation du savoir autochtone. L’accès aux territoires forestiers jadis considérés comme des territoires traditionnels autochtones est de plus en plus restreint puisque ceux-là ont été mis en valeur et exploités le plus souvent à l’exclusion des utilisations traditionnelles autochtones (ANFA, 1996). L’inondation des terres, l’exploitation forestière sur de grandes superficies ainsi que la construction d’un réseau routier permettant aux pêcheurs et chasseurs allochtones d’accéder au territoire viennent bouleverser le paysage, éroder les ressources et modifier les écosystèmes sur lesquels se fonde le savoir écologique autochtone.  

Un autre élément qui contribue à l’érosion culturelle est la diminution de la fréquentation de la nature et ses forêts par les jeunes. En règle générale, les jeunes ont tendance à s’imbiber davantage de la culture dominante (passent plus de temps devant la télévision, par exemple) qu’à sillonner le territoire avec leurs parents pour acquérir des connaissances sur leur environnement naturel. Les peuples autochtones ont pour ferme conviction que le partage de leur savoir ancestral sur les forêts contribuera à améliorer l’aménagement et les pratiques forestières. Ce savoir est basé sur des principes de « saine gestion » favorisant une utilisation durable des forêts, ce qui a permis aux peuples autochtones de survivre jusqu’à présent. Cependant, quoiqu’une certaine ouverture commence à se manifester, la communauté scientifique continue de mettre à l’écart le savoir écologique autochtone, et ceci en dépit du fait que ce savoir est considéré comme hautement scientifique par certains chercheurs car il est « empirique, fondé sur l’expérimentation et systématique » (Barsh, 1996). 

Un autre impact sur le mode de vie autochtone est l’abattage de bois dans la frange nordique de la forêt boréale, régions jusqu’à récemment épargnées. Les communautés autochtones y vivant « luttent contre l’aliénation que supposent la privation de leurs terres et le bouleversement de leur mode de vie »,  profondes perturbations sociales que laissent entrevoir la pauvreté, le taux élevé de suicides chez les jeunes, les problèmes de santé ainsi qu’un pauvre niveau d’éducation (Quaile & Smith, 1997).  

L’exemple de la population Crie d’Eeyou Astchee 

Les membres de la nation crie de Eeyou Astchee ont subi les conséquences d’un développement forestier non durable au cours des trente dernières années, mettant en péril leur mode de vie traditionnel et leur culture (GCC, 1997).   Depuis 1975, plus de 5000 km2 de terres forestières à été coupées sur leur territoire et 95% ces terres ont été allouées sous forme de CAAF à des compagnies forestières allochtones (GCC, 1997). 

Malgré ces profondes perturbations, ils se considèrent encore comme des chasseurs (GCC, 1997) et pour la majorité des Cris, les plantes et les animaux d’Eeyou constituent encore une « source vitale d’aliments, de médicaments et de spiritualité » (ANFA, 1996). L’identité de la communauté crie réside dans leur mode de vie traditionnel. D’ailleurs, il est si important qu’il a été intégré au programme scolaire des écoles secondaires cries (ANFA, 1996). En termes de subsistance, les activités traditionnelles constituent la première source de nourriture et de revenu pour un tiers des 12 000 Cris installés dans la forêt boréale dans le nord du Québec (Quaile & Smith, 1997). 

Les territoires traditionnels de la nation crie d’Eeyou couvrent 50 000 km2  de terres forestières à vocation commerciale dans le nord du Québec. Ce territoire contient cinq communautés principales (Tableau 2). Il va sans dire que l’intensification des activités forestières induit un bouleversement des activités de chasse, pêche et piégeage des Cris et menace leur autosubsistance. Les terres des Cris sont départagées en territoires de chasse familiaux et les familles exploitent leurs terres de façon cyclique, en se déplaçant d’une année à l’autre, de façon à éviter l’épuisement des ressources. Toutefois, dans la communauté de Waswanipi, dont les territoires traditionnels adjacents ont été très touchés par un abattage massif, les chasseurs et leurs familles ont été témoins d’un déboisement moyen de 38% pour chaque territoire de chasse (Quaile & Smith, 1997). Dans certains cas extrêmes, ce sont plus de 80% des arbres d’un même territoire de chasse qui ont été abattus (GCC, 1998). Selon les plans d’aménagement forestier de Waswanipi, la totalité de ses terrains traditionnels sont destinés à une exploitation industrielle. En termes humains, cela signifie que plus de 100 familles vont être expulsées définitivement de leurs terres (Quaile & Smith, 1997). Étant donné que l’exploitation forestière poursuit son avancée vers le nord, un phénomène comparable se produira pour quatre autres communautés cries, dont les territoires de chasse sont localisés dans les terrains forestiers désignées par le Québec comme étant destinés à l’exploitation commerciale (voir tableau 2). Pour leur part, les forêts des communautés de Nemiscau et de Waskaganish sont situées à l’extrême limite nord de la forêt commerciale. En raison de la rudesse des conditions environnementales et des méthodes de récolte actuelles, des doutes subsistent quant à la capacité de ces forêts à se régénérer dans le futur (GCC, 1998).  
  
 
D’autres impacts sociaux découlent de la construction de routes d’accès aux forêts. Les accès routiers ont favorisé l’augmentation du nombre de chasseurs sportifs allochtones, ce qui a eu pour effet d’entraîner une augmentation du vol et du vandalisme dans les camps de chasse autochtones. Plusieurs autochtones ont rapporté que leurs bateaux, motoneiges et voitures ont été volés tandis que certaines cabanes ont été vandalisées ou brûlées. Certains chasseurs allochtones ont même érigé des poteaux indiquant que le territoire était une propriété privée. La situation est devenue tellement grave que certains chasseurs aînés ont dû fuir leurs terres suite à des menaces des chasseurs allochtones (GCC, 1998). 


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